Le récit du Tétras

Cela faisait un moment que je ne m’étais pas dégourdi les ailes ! Un moment que j’attendais patiemment dans le hangar que l’on me sorte prendre l’air. Une ou deux fois, pendant l’hiver mon papa, Alain, avait fait tourner mon moteur craignant une panne de batterie au retour des beaux jours. Mais une fois la température atteinte, il éteignait tout et me rentrait à l’abri du froid.

Et ce samedi 7 mars 2015, il est venu me chercher avec son sac et son casque : nul doute, on va voler ! Il fait particulièrement beau et le vent est calme. Oui, parce que vous ne le savez peut être pas, mais je n’aime pas beaucoup le vent. Je suis un peu léger… Trop diraient certains. Je leur expliquerai un jour…

Donc ce samedi était la journée idéale pour s’envoyer en l’air. Alain arrive accompagné d’un ami posé la veille sur l’aérodrome avec un gros machin tout en métal, pas très souple. Ce genre d’avion assez hautain qui vous regarde du coin de l’aile avec dédain et condescendance. S’il savait…

Ils me sortent, m’auscultent, me vérifient. L’ami d’Alain, ToToF, me tripote les ailerons et les gouvernes. Ils devraient être rassurés, pourtant… Cela fait onze ans que je vole et je n’ai jamais défailli. Je suis de conception simple mais robuste. D’ailleurs, nombre de mes frères volent en Afrique où les conditions climatiques sont bien plus difficiles voire délétères que dans le Poitou. Mais l’aviation est exigeante, surtout lorsqu’il s’agit de sécurité. Et puis, je vous le dis : nous, les ULM,  n’avons pas très bonne réputation. Surtout chez ceux qui n’ont pas compris que comme beaucoup d’aéronefs, j’ai aussi mes petites exigences : pas trop de vent, pas trop de poids. Mais en vol, je peux largement concurrencer un Rafale ! Ah, vous ne me croyez pas ? Lisez donc la suite de mon récit…

Me voilà prêt ! Ils sont installés, sanglés et mes portes sont verrouillées. ToToF en place gauche, Alain en place droite. Alain est souvent en place droite. Il emmène Catherine son épouse, ses amis, ses élèves. Il leur transmet son savoir, cette douce façon de me faire voler et de m’amener à des évolutions rares. Nul doute, Alain est mon pilote préféré.

Je démarre au quart de tour ! Cela fait tellement longtemps que j’attends ça. ToToF me fait rouler doucement vers la piste. Tiens, il a fait des progrès avec le train classique. A mesure que je roule, mon moteur chauffe tranquillement. Une dernière vérification, mise en puissance et nous décollons.

Enfin en l’air ! J’en suis tout ému ! A la vue du cap que nous prenons, je sens que l’on va aller s’entrainer sur les pistes du coin. Celles sur lesquelles j’aime bien me poser. Je m’en réjouis d’avance. Elles ne sont pas faciles d’accès, je vous le garantis. Mais le plaisir n’en est pas moins grand, bien au contraire ! Il faut jouer finement sur les commandes, adapter la puissance et bien prendre le vent en compte. Je vous l’ai dit : le vent n’est pas mon ami.

Sans monter trop haut, nous prenons la direction de Ceaux-en-Couhé, au nord-est de l’aérodrome. Autrement dit une piste facile. Enfin bon… facile pour ceux qui me connaissent un peu. Je vous rappelle que j’ai un train classique et que je suis très fin aux commandes. Pas de geste brusque, affichez la bonne vitesse et les bons paramètres et tout se passera bien ! Sinon… ben je rebondis et ça me fait mal aux roues.

Nous voilà à l’approche. Oui, le seuil de piste est juste après la haie et au fond, il y a la ferme. Donc il faut poser court et repartir rapidement. Du gâteau, mes amis, du gâteau !

Nous poursuivons, toujours dans les environs de Ceaux-en-Couhé et nous allons au parc à vaches. Dans le Poitou, les vaches ne regardent pas les trains passer mais les Tétras se poser. Comme à leur habitude, elles ne sont pas très surprises de me voir. Un hochement de la tête pour dire bonjour et elles retournent brouter leur herbe fraiche.

Un petit demi-tour et nous voilà repartis. C’est Alain qui fait les approches, ToToF manque d’expérience pour ce genre de terrain. Mais ça viendra, il a fait des progrès : je ne vole pas de travers…

Nous mettons le cap à La Lande, mon terrain à moi. Ou plutôt la piste de mon papa. Ici, je suis chez moi. Malheureusement, les sangliers ne l’entendent pas de cette oreille et ont décidé d’abimer la piste. Impossible d’y poser les roues sans risquer de tout casser. Nous passons au ras des pâquerettes, parallèles au sol et remontons.

ToToF me fait prendre un cap vers l’abbaye du Moreau. Là, ça va se compliquer un peu : la piste est entre deux rangées d’arbres assez hauts. Il faut donc approcher « normalement » et dès la rangée d’arbre passée, plonger vers le sol mais sans prendre de vitesse. Cela commence à devenir un peu technique, mais c’est largement jouable. Une fois posé, il faut me mettre plein gaz, bien me compenser et prendre une assiette à cabrer assez prononcée pour passer la rangée d’arbre opposée. Je bois du p’tit lait ! (Si j’ose dire, car je préfère le 98 sans plomb… surtout à cette heure-ci.)

Le vol se poursuit toujours avec cette météo extraordinaire. Le temps rêvé ! Certains diraient un temps d’curé, moi je dis : un temps d’Tétras !

Nous voilà partis vers Gençay. Là, les âmes sensibles (genre pilote Air France, etc) sont priées d’aller directement à la fin de l’article. Les autres peuvent poursuivre. L’approche à Gençay est vraiment particulière. Déjà, il faut trouver la piste. Si vous vous attendez à voir une jolie piste avec des balises aux coins, des « V » en bouts de piste et une manche à air… Relisez votre manuel de pilotage ou allez faire du simulateur. Une idée de comparaison ? Dites-vous qu’à côté de Gençay,  la piste du porte-avions Charles-de-Gaulle c’est Roissy. La piste est limitrophe à une rangée d’arbre, en virage avec un joli creux au début. Non, non, vous ne rêvez pas. Il faut donc arriver en virage suivre le ravin et remonter en me montant le nez assez haut pour toucher. Bon… J’aurais beau vous l’expliquez avec moult détails vous ne comprendrez pas. Et bien regardez les images, cela devrait être à votre portée. Nous embrassons délicatement la piste, un kiss disent les jeunes, et nous repartons.

Direction ? L’Étapot.

D’en haut, ça paraît tout simple. Mais… Compte tenu de la position de l’axe et de l’environnement, ça ne l’est pas. Il faut descendre, jusque là rien de bien compliqué. Mais vous avez vu ? Au seuil de la piste, une ligne électrique casse le plan d’approche. Donc le seul moyen d’effectuer l’approche correctement est d’arriver en glissade. Oui, une manœuvre que l’on n'apprend plus aux jeunes. Et pourtant ! La glissade est idéale pour descendre vite sans prendre de vitesse et en toute sécurité. Posés, remise de gaz et nous voilà repartis vers le terrain de Couhé-Vérac. C’est ToToF qui a repris mes commandes… Je le soupçonne d’avoir travaillé son pilotage lors de ses derniers vols : il vole bien mieux !

Nous arrivons sur le terrain de Couhé, ToToF procède à l’approche et à l’atterrissage. Bon… c’est pas mal mais peut mieux faire. Nous roulons tranquillement vers le hangar. Le moteur est arrêté, le contact est éteint. Je me suis régalé. Ils me rangent délicatement à ma place à côté de mon pote pendulaire et de mon copain « Super Guépard » (est-ce un nom pour un ULM quand on vole à 80 kts ?... Cela dit, il est vraiment gentil Super Guépard : les personnes handicapées peuvent quand même voler avec lui. Mais je vous raconterai ça une autre fois.) Il n’y a qu’avec mes voisins DR400 que j’ai du mal à me faire comprendre. Quand le soir je leur raconterai mes aventures aériennes de la journée, ils vont encore se moquer : « Ouais, Tétras… on sait ! Tu t’es encore posé sur des timbres postes en glissade avec le vent dans l’dos… On la connaît ton histoire de mythomane ! Nous, nous sommes des avions, des vrais, des tatoués et certifiés !»

Ce à quoi je leur réponds : « Oui, mais moi je suis l’avenir de l’aviation légère. »

 

Tétras de Couhé-Vérac, mars 2015.